L’ASEAN en 2025 : toujours pertinente, mais de justesse

En 2025, l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est (ASEAN) demeure un pilier central de la diplomatie régionale, de l’intégration économique et du dialogue sur la sécurité dans la région. Pourtant, malgré son importance historique, la crédibilité et l’efficacité du bloc sont de plus en plus scrutées. Face à l’augmentation des tensions géopolitiques et à l’émergence de nouveaux groupements internationaux, la question se pose de plus en plus fréquemment : l’ASEAN est-elle toujours pertinente ?

Fondée le 8 août 1967 à Bangkok, l’ASEAN s’enorgueillit depuis longtemps de son unité dans la diversité, guidée par les principes de non-ingérence et de prise de décision par consensus. Elle a obtenu de véritables résultats : réduction des droits de douane grâce à la Zone de libre-échange de l’ASEAN (AFTA), exemption de visa pour les citoyens au sein du bloc et rôle central dans l’organisation de forums sur la sécurité tels que le Sommet de l’Asie de l’Est. Avec une population totale d’environ 700 millions d’habitants et un PIB dépassant les 3 900 milliards de dollars en 2025, l’ASEAN demeure une formidable force économique et démographique.

Cependant, alors même qu’elle accueille le Timor oriental, les récents développements ont mis en évidence les limites du modèle de l’ASEAN, notamment son principe de non-ingérence, très critiqué. Cela est particulièrement flagrant dans sa réponse à la crise actuelle au Myanmar.

Depuis le coup d’État militaire de 2021 au Myanmar, l’ASEAN peine à présenter une position cohérente et efficace. Bien qu’elle ait exclu les représentants militaires birmans des sommets, le bloc n’a pas réussi à appliquer son propre consensus en cinq points, conclu en avril 2021 pour résoudre le conflit. La junte a ouvertement défié les appels de l’ASEAN au dialogue et à l’accès humanitaire. Malgré de multiples réunions de haut niveau et des présidences tournantes – l’Indonésie en 2023, le Laos en 2024 et la Malaisie en 2025 –, la situation n’a fait que se détériorer, avec plus de 50 000 morts et plus de 3 millions de déplacés dans la guerre civile au Myanmar.

Cette impuissance perçue a nui à la crédibilité de l’ASEAN, notamment auprès des défenseurs des droits humains et des organisations de la société civile, qui considèrent le bloc comme lent, prudent et peu disposé à contester les comportements illégaux en son sein. Le ministre malaisien des Affaires étrangères a déclaré sans ambages en juillet 2025 que « les élections au Myanmar ne sont pas une priorité actuellement », malgré les affirmations des responsables de la junte, admettant ainsi presque la perte d’influence du bloc.

À cela s’ajoute le nombre croissant de cadres régionaux et internationaux alternatifs qui se disputent désormais l’attention. Le Quad (composé des États-Unis, du Japon, de l’Inde et de l’Australie) a étendu ses initiatives régionales, notamment dans les domaines de la technologie, de la défense et du changement climatique. De même, le Cadre économique indo-pacifique (IPEF), soutenu par les États-Unis, propose une coopération économique que certains États de l’ASEAN considèrent désormais comme plus dynamique que les propres initiatives économiques de l’ASEAN.

Parallèlement, l’initiative chinoise « la Ceinture et la Route » (BRI) et le Partenariat économique régional global (RCEP) ont renforcé l’emprise économique de Pékin sur l’Asie du Sud-Est, marginalisant souvent les processus de l’ASEAN au profit d’accords bilatéraux ou multilatéraux plus alignés sur les intérêts chinois.

Pourtant, l’ASEAN n’est pas dénuée de pertinence – pas encore.

Son envergure, sa profondeur institutionnelle et son pouvoir de mobilisation restent inégalés dans la région. Elle joue toujours un rôle central dans la diplomatie régionale, accueillant des dialogues entre les grandes puissances, dont les États-Unis, la Chine, l’Inde et le Japon. Le Sommet de l’ASEAN, le Forum régional de l’ASEAN et le Sommet de l’Asie de l’Est restent parmi les rares plateformes où ces pays se rencontrent sur un pied d’égalité.

En 2025, l’ASEAN a également progressé en matière d’intégration numérique, l’Accord-cadre sur l’économie numérique de l’ASEAN (DEFA) étant en voie d’achèvement. S’il est finalisé, il pourrait stimuler le commerce électronique et les échanges numériques intra-ASEAN, ajoutant potentiellement des centaines de milliards de dollars au PIB de la région au cours de la prochaine décennie. La coopération environnementale se développe également, le Réseau de résilience climatique de l’ASEAN soutenant des réponses communes aux menaces climatiques, notamment entre les pays du Mékong.

Pour que l’ASEAN conserve sa pertinence et regagne sa crédibilité perdue, des réformes sont toutefois urgentes. Celles-ci pourraient inclure l’adoption du vote à la majorité qualifiée dans des domaines spécifiques, le renforcement de l’autorité du Secrétariat de l’ASEAN et la création de mécanismes de responsabilisation en cas de violation par les États membres d’accords ou de normes clés.

Le monde évolue rapidement et l’ASEAN ne peut se permettre de s’accrocher à des traditions qui ne servent plus ses citoyens. Si le bloc parvient à se moderniser tout en préservant ses valeurs fondamentales, il conservera non seulement sa pertinence, mais s’épanouira en tant que pierre angulaire de la paix et de la prospérité régionales. Mais s’il persiste à tergiverser, d’autres prendront sa place.

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